le cinquième ange

(EXTRAIT DU travail collectif réalisé avec photocréanomade et les amis de la collegiale de semur-en-auxois)

La photographie nous étonne parce qu’elle semble nous révéler quelque chose que nous croyions pourtant bien connaître. Telles ces photos prises dans la Collégiale de Semur-en-Auxois, qui narguent nos représentations les plus assurées. Si les photographes ont flâné, déambulé à leur guise, comme il nous arrive de le faire, ce qu’ils en ont rapporté semblent surpasser nos représentations. Ils nous surprennent.
Quel est ce mystère de la surprise?
Il est en nous, il est nous, le cœur de notre humanité, c’est l’énigme même du regard.
Pour expliciter un peu cette réponse, je choisirai deux références données par la Collégiale, qui en est peuplée.

La première convoque un texte apocryphe chrétien : les Actes de Thomas, les chapitres 17 à 29. Ayant reçu la mission d’évangéliser l’Inde, Thomas renâcle malgré ces paroles du Christ qui lui est apparu : « Ne crains pas Thomas, parce que ma grâce est avec toi. » Il se retrouve alors vendu comme esclave à un marchand, vendu par Jésus lui-même (c’est pédagogique). Thomas arrive avec son maître dans une ville de l’Inde où il devient l’architecte du roi Goudnaphar qui, avant de s’absenter, lui commande un magnifique château dont le site est choisi. Mais Thomas emploie l’argent qui devrait être consacré au chantier en distributions aux nécessiteux. Lorsque le roi revient, il ne trouve aucune réalisation, aucune construction. C’est la déception et la colère. Gad, frère du roi, est lui aussi très affecté ; il tombe malade et meurt. Thomas et son marchand sont alors incarcérés avant une exécution bien ruminée par Goudnaphar. Mais Gad, arrivé en Paradis, découvre un palais où il désire résider. On lui apprend que c’est celui de son frère. Il demande aux anges qui l’avaient porté la faveur de revenir sur terre pour acheter ce château à son frère. Goudnaphar refuse mais lui promet un palais construit… par Thomas.
Thomas et son maître sont alors libérés. Goudnaphar et son frère, dessillés, se convertissent. Le véritable palais était ailleurs et invisible pour les yeux.
Le récit de cette histoire est sculpté là-même où entraient les paroissiens, au tympan de la Porte des Bleds, et ce n’est pas pour rien. Il leur rappelle que Thomas est l’apôtre qui a eu besoin de toucher du doigt les plaies du Christ, de voir afin de croire et auquel le Christ a dit « Parce que tu m’as vu, tu as cru. Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru ! » (Jean XX, 29). Le désir de Goudnaphar dépassait en fait toutes ses représentations. Et les hommes qui allaient entrer par la Porte des Bleds devaient apprendre que l’image nous fait saisir quelque chose du réel parce que le réel relève de l’indicible, parce que ce réel-là nous sollicite et nous interroge, comme dans nos rêves des images viennent nous interroger. « Voir mais voir », c’est l’exercice du regard sollicité, comme nous en faisons l’expérience devant une œuvre d’art. Ce n’est pas la réduction du vu à nos interprétations, mais l’acceptation d’un dialogue. Par celui-ci, en effet, il y a à voir plus et plus loin et nous ne savons pas même jusqu’où cela nous mènera. Photographier est ce travail du voir, cette soif du réel.

La seconde référence est biblique, au chapitre VII de l’Apocalypse :
« Après cela, je vis quatre anges debout aux quatre coins de la terre ; ils retenaient les quatre vents de la terre, afin qu’il ne soufflât point de vent sur la terre, ni sur la mer, ni sur aucun arbre. Et je vis un autre ange, qui montait du côté du soleil levant, et qui tenait le sceau du Dieu Vivant ; il cria d’une voix forte aux quatre anges à qui il avait été donné de faire du mal à la terre et à la mer, et il dit : « Ne faites point de mal à la terre, ni à la mer, ni aux arbres, jusqu’à ce que nous ayons marqué du sceau le front des serviteurs de notre Dieu. »
Ces quatre anges, portant chacun une outre, figurent au clocher de la Collégiale. Le cinquième ange n’est pas représenté, mais n’est-il pas celui qui illumine les vitraux de l’abside chaque matin, puis caresse le transept quand midi approche : invisible mais présent, réveillant, révélant pierres, vitraux, sculptures, voûtes, nef et chapelles, tuyaux de l’orgue ?
Et n’a-t-il pas un doigt dressé devant les lèvres ?

La Collégiale est cette œuvre de l’art qui dans son silence nous fait éprouver l’expérience du prophète Élie à Horeb (I Rois, XIX) : Dieu n’était ni dans le vent fort et violent, ni dans le tremblement de terre, ni dans le feu, mais dans un murmure doux et léger, quelque chose de si ténu qu’il confine au rien. La bible grecque traduisant l’hébreu, dit « kenos », c’est-à-dire « vide ». Comme le Saint des Saints du Temple de Jérusalem l’était.

Ça montre plus que ça regarde !

étienne Jacquot

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Le cinquième ange
La collégiale Notre-dame de semur en auxois

photocréanomade

ISBN: 9-782959277108
Prix public: 59€
sortie mai 2024
144 pages
dos carré cousu, couverture rigide + jacquette

photos de Thomas Journot, Sarah Voulleminot, Céline Mathé
textes de Etienne Jacquot, Céline Duchesne, Patrice wahlen

dans les têtes de ma dame

Dans les têtes de ma dame

photocréanomade

ISBN: 9-782959277115
Prix public: 9€
sortie mai 2024
32 pages
broché

catalogue d’exposition
photos de Thomas Journot, Sarah Voulleminot, Céline Mathé

EXPOSITION / le cinquième ange

Exposition collective & ouvrage photographique
15 tableaux noir & blanc
Les images de l’exposition sont légendées par de courts textes.

Présentation de l’exposition:
.Photocréanomade,  mai-septembre 2024, Semur-en-Auxois

 

EXPOSITION / dans les têtes de ma dame

Exposition collective sur les coulisses du travail réalisé pour le livre
LE CINQUIÈME ANGE
15 tableaux couleur

Présentation de l’exposition:
.Photocréanomade, dec-mai 2024, Semur-en-Auxois